Le P. Baudouin, dans les conseils qu’il donnait en 1820 au groupe des missionnaires de Saintonge, écrivait : « Ne parlez jamais de politique… Ne parlez jamais d’opinions… ». On sait, par ailleurs, en lisant ses lettres, qu’il n’avait aucune sympathie pour l’Empereur Napoléon. Cela ne l’a pas empêché de faire face à son devoir de « citoyen » lorsqu’il lui fut donné de rencontrer l’Empereur sur le territoire de Chavagnes, un 8 août 1808… Sr Charlotte ESGONNIERE nous raconte.
La Vendée et Napoléon

Il existe un lien entre la Vendée et Napoléon, puisqu’il a choisi et fondé LA ROCHE SUR-YON comme Chef-lieu du Département, qui s’appellera alors NAPOLÉON-VENDÉE. On vient d’en fêter le Bicentenaire.
Une rencontre historique
Y a-t-il un lien entre le Père Baudouin et Napoléon ? Se sont-ils rencontrés ? Oui, et voici comment…
Nous sommes en 1808. Progressivement la paix religieuse est revenue en France. La Vendée commence à sortir de ses ruines. Le Concordat a été signé. On dit l’Empereur bien disposé en faveur de la restauration religieuse.
Le Père Baudouin est à Chavagnes, supérieur du Séminaire qu’il a fondé. Les Séminaristes sont de plus en plus nombreux, environ trois cents.
Tout à coup on apprend que Napoléon, rentrant d’Espagne à Paris pour la fête du 15 Août, son anniversaire, et fête Nationale, se propose de passer par les départements de l’Ouest. Grand branle-bas dans les communes sur la route impériale.
A deux kilomètres de Chavagnes…
Dans l’après-midi du 8 août 1808, l’Empereur doit passer par la Chardière, petit carrefour à environ deux kilomètres du bourg de Chavagnes, sur la route nationale entre les Quatre-Chemins de l’Oie et Montaigu.
Le Préfet avait recommandé aux Conseils Municipaux de réunir tous les concitoyens à l’heure « présumable » où sa Majesté devrait traverser le territoire de la commune, et de faire sonner les cloches une demi-heure avant et une demi-heure après son passage. Il s’agissait d’honorer « le Restaurateur, le Bienfaiteur, le Père de la Vendée ».
Le maire de Chavagnes à l’époque, André Roger, appelé Driot, un brave tisserand, chantre aussi à l’église, paraît tout bouleversé par cette grande nouvelle et les initiatives à prendre. Bien embarrassé, il vient trouver « ces Messieurs du Séminaire » qui lui promettent leur concours.
Le Curé, le jeune abbé Jean Benjamin Bomard, successeur de M. Lebédesque depuis deux mois, malgré sa bonne volonté et son enthousiasme, avoue son inexpérience et prie le Père Baudouin d’assurer la direction générale des opérations. Ce dernier accepte volontiers cette charge, car il a son idée…
Au jour dit,
Toute la population de Chavagnes est sur pied. Dès le matin, les bonnes volontés sont à l’ouvrage. Un feu de joie est préparé à la Chardière, auprès du Château en ruine. On dresse un magnifique arc de triomphe fait de bois et de carton, orné de guirlandes de feuillage. Un grand aigle impérial se déploie en haut et au milieu. Au-dessous de l’aigle, une inscription en lettres immenses, sur laquelle on peut lire :
« La terre devant lui garde un profond silence,
et les peuples soumis ont connu sa puissance. » (tiré de la Bible dans le 1er livre des Maccabées 1,3)
Tous les élèves du Séminaire, près de 300, sont arrivés depuis 2 heures de l’après-midi pour aider aux préparatifs et grossir les rangs du cortège. Le Père Baudouin est entouré de ses professeurs et s’intéresse à tous. Le Maire et l’Adjoint, en guise d’écharpe tricolore, ont pris comme ceinture un ruban rouge d’enfant de chœur ! on fait ce qu’on peut ! M Lazare Réchin, ancien maire, « Officier de Santé » et plusieurs notables sont présents. Soudain une voiture passe apportant quelques échos du premier arrêt de l’Empereur aux Quatre-Chemins… L’impatience redouble … « L’heure présumable » du passage avait été fixée à 4 ou 5 heures. Il faut attendre jusqu’à 7h½ … A ce moment-là les cloches sonnent à St Fulgent, l’instant solennel approche… Malheureusement, la nuit tombe plus vite encore, on est à l’heure solaire.
A la nuit tombante
Comment l’Empereur verra-t-il cette foule amassée sur le bord de la route ? et le splendide arc de triomphe ? Pourra-t-on apercevoir l’illustre visiteur ?
« Voilà des bouts de chandelle » est-il annoncé ! On se partage ce précieux éclairage…
Quand l’Empereur arrive à la côte de la Rincendière et qu’il aperçoit de loin cette illumination mobile ainsi que les flammes du feu de joie, il s’inquiète… Renseigné, il fait arrêter sa voiture à deux pas de l’Arc de triomphe. Aussitôt une clameur s’élève : « Vivat Imperator ! » Grande est sa surprise …

- Des étudiants ? demande-t-il brusquement .
- Oui, Sire, le Séminaire de La Rochelle…
- Qu’on appelle le Supérieur et le Maire.
Le brave ‘Driot’, très ému, à la pensée de rencontrer l’Empereur s’était donné du courage en absorbant quelques bons verres de vin… Du coup il ne sait plus où il en est et ne retrouve plus les mots du discours préparé. Le Père Baudouin voit qu’il vaut mieux ne pas insister. Il saisit le bras de Mr. Réchin et l’entraîne vers la voiture impériale. Le Supérieur improvise quelques phrases. Mr Réchin salue profondément. L’Empereur esquisse un geste de bienveillance. Puis brusquement adresse au Père Baudouin un interrogatoire serré : - Combien avez-vous d’élèves faisant leurs humanités ?
… d’élèves se destinant à l’état ecclésiastique ?
… Combien avez-vous de professeurs ? et quelles sciences enseignent-ils ? Le Père Baudouin, un peu interdit, répond de son mieux aux questions multiples… - Mais, vous ne demandez aucune grâce ? dit l’Empereur.
- Sire, je n’osais…
- Osez donc ! ..
. - Sire, nos élèves sont fort nombreux, nous sommes logés bien à l’étroit, et nous n’avons guère de ressources … Il nous faudrait un autre bâtiment.
- J’accorde, dit l’Empereur, cent mille francs pour le construire…
Le Père Baudouin n’en peut croire ses oreilles. - Vive l’Empereur ! s’écrie-t-il, étonné par tant de générosité.
- Et l’Impératrice ! dit vivement Napoléon.
Le Père Baudouin s’excuse, ignorant la présence de Joséphine, peu visible dans la pénombre… - Vive L’Empereur ! …Vive L’Impératrice ! … clame-t-il alors…
Fusent aussitôt des centaines de voix : « Vive l’Empereur ! Vive l’Impératrice ! » et la voiture part comme un trait…
De La Chardière à Montaigu, Napoléon réfléchit sur son entretien avec le Supérieur du Séminaire de La Rochelle, sur ce rassemblement de jeunes en plein Bocage… Ne seraient-ils pas à même d’organiser un nouveau soulèvement si l’occasion se présentait ?… Ces gens-là n’ont personne pour les surveiller…
Quelque temps plus tard

C’est pourquoi, quelque temps plus tard, Mgr Paillou reçut l’ordre formel de transférer son Séminaire diocésain de Chavagnes à La Rochelle. Aucune école ecclésiastique ne pouvait être placée à la campagne mais dans les mêmes villes que Lycées et Collèges. Autrement elles seraient supprimées.
Telles sont les conséquences nationales de cette rencontre du Père Baudouin avec Napoléon. Ce qui occasionna aussi le séjour de notre fondateur à La Rochelle, comme Supérieur du Grand Séminaire et Vicaire Général de Mgr Paillou.
Et les cent mille francs promis ? ont-ils été utilisés ailleurs ?… En tout cas, pas à Chavagnes…
Sr Charlotte ESGONNIÈRE, UdJ (avec l’aide efficace du livre de l’Abbé Poirier sur la Mère St Benoît)